D'une nécessité aux prototypes "109"...

La genèse...

La fabrication en grande série d'une automobile nécessite la mise en place d'un outillage important dont il faut prévoir le financement et l'amortissement. Ainsi la décision de produire un nouveau modèle est-elle longuement réfléchie et élaborée au travers de plusieurs prototypes et sondages auprès des clients...

En 1951, Renault commande des études et sondages qui parlent d'eux mêmes. Pourquoi achète-t-on plutôt telle voiture à une autre ? La notion de prix vient au premier rang. Puis, après avoir éliminé toutes les voitures ne correspondant pas à son budget, le choix se fait pour la consommation la plus réduite et la plus grande habitabilité pour le prix qu'il compte dépenser. Les performances n'entrent pas en ligne de compte dans le choix ; il faut dire qu'en roulant à 100km/h à l'époque, on dépasse déjà 95% des voitures en circulation. Sur le sondage effectué par Renault, 77% des Français se contentent d'une vitesse plafond de 110km/h (chez les ouvriers 50% se contentent d'une vitesse de 85 à 90km/h). Il y a donc une place à prendre pour une voiture de 4 places, marchant à 115 km/h et consommant moins de 7 litres aux 100km.

Problème : les chiffres de commande de la 4CV sont importants et il est impensable pour la Régie de penser à la remplacer. La 4CV convient notamment aux nouveaux venus à l'automobile (50% des clients viennent de passer leur permis). Une nouvelle voiture doit donc entrer en production pour les clients qui souhaitent une voiture plus grande que la 4CV mais sans être en mesure d'envisager l'achat d'une frégate.

En juillet 1951, le coup d'envoi est donné. Les conclusions de la direction commerciale et de la direction des études sont claires. Outre la nécessité de cette nouvelle voiture, il faut cinq années pour mener à terme les études, la création et la fabrication du nouveau modèle. Un nouveau dossier s'ouvre au sein du bureau d'études. Un chiffre l'identifiera provisoirement : "109". Les stylistes se mettent au travail avec comme contrainte d'utiliser le maximum d'éléments de la 4CV, 4 places, 4 portes, un vaste coffre à bagages, le maximum de facilité d'entretien et un prix de revient aussi bas que possible. Une première matérialisation du projet 109 prend alors vie sous forme d'une maquette en pâte plastique à l'échelle 1/8.

Travail difficile pour le bureau d'études et les stylistes, car dans cinq ans, la ligne générale de la voiture ne devra pas être démodée. Une fois la maquette réalisée les tests de soufflerie prennent le relais.

Les défauts vus lors des essais en soufflerie corrigés, on peut passer à une matérialisation à l'échelle 1 de la nouvelle voiture. Cette maquette, en plâtre, va alors servir aux retouches nécessaires aux commodités de fabrication, à l'esthétique, ou encore à l'encombrement de la mécanique.

 

Dans le même temps, des essais de postes de conduite et de sièges se font sur une maquette spéciale en bois, avec le concours du médecin attaché à la Direction des Etudes et Recherches, spécialiste des questions de sécurité. On détermine ainsi la disposition du tableau de bord, du volant, de la colonne de direction... conditionnés par l'emplacement de la boîte de vitesses ou la direction. Des compagnons tôliers se mettent alors en oeuvre pour créer le premier prototype en tôle. Le prototype terminé, une année s'est déjà écoulée !

 

Les essais...

Le 24 juillet 1952, le premier prototype (9996 BC 75) sort enfin du Centre Technique de la Régie à bord d'un Galion et effectue ses premiers kilomètres dans la nuit. A quelques exceptions près, les lignes de la future Dauphine sont déjà là. Les différences se font au niveau des lignes saillantes et proéminentes des ailes AR, de l'absence de monogramme sur le capot avant, de la planche de bord, du bouchon du réservoir d'essence, des grilles de refroidissement, des portes arrières, des feux arrières, des pare chocs, ...

Dix puis vingt autres "109" prendront alors le relais tournant nuit et jour sur les pistes d'essais Renault.

Le programme est simple : cinq tours de circuit, deux tours de tôle ondulée, deux tours de pavés, le tout sur des pistes spécialement aménagées (dos d'âne, virages en épingle, côtes...). Les équipes éprouvent la mécanique, la carrosserie et effectuent un rapport à l'issue de chaque essai. Les ingénieurs contrôlent alors la tenue des pièces, font remplacer les pièces défectueuses par d'autres. Les essais de performance permettent de mesurer la vitesse maximale, les accélérations, le freinage et la consommation. Tout est testé, tenue de route en virage, suspensions, silence de fonctionnement, capacité du chauffage, aération... En voici quelques exemples :

Comment tester la tenue de route en virage ?
Tourner sur des cercles de diamètres différents en accélérant progressivement et noter pour chaque vitesse la position angulaire du volant.
Le passage du gué, ou comment tester l'étanchéité des prototypes.
La cinquième roue fixée sur le pare-choc permet de mesurer les distances de freinage ainsi que les accélérations et décélérations.
La piste en tôle ondulée permet d'étudier la suspension, la résistance de la carrosserie et de groupe moto propulseur.

Pour plus d'infos et d'images sur les prototypes "109" >>>

Pendant ce temps, on ne chôme pas dans les laboratoires. Multitude d'appareils vont observer les pièces des prototypes qui ont tourné, décelant les failles dans les métaux, la mauvaise qualité de fabrication. Mais on va aussi torturer ces mêmes pièces, les tordre, les faire vibrer, les frapper... On analyse les disques enregistrés avec un magnétophone dans les prototypes 109 dans une chambre insonorisée. Toutes ces recherches permettent de modifier les pièces et de commencer l'étude de fabrications des machines qui vont les produire.

Le 1er octobre 1952, l'Auto Journal fait sa une avec deux photos des premiers prototypes.

En juin 1953, Pierre Lefaucheux décide de consulter le carrossier italien Ghia et son styliste Luigi Segre afin de modifier la carrosserie arrière : notamment les ailes et la découpe pour canaliser l'air vers le radiateur arrière. Les capots avant et arrière, ainsi que la planche de bord seront également modifiés. Deux prototypes reviennent alors à Billancourt, le 30 juillet 1953.

En août 1953, Fernand Picard, directeur des études et recherches (et père de la 4CV), fait transporter incognito un prototype 109 vert amande (9228 EB 75) chez le concessionnaire Renault de Madrid. Il va tester la voiture sur les routes poussiéreuses et  difficiles d'Espagne. Sur 2 200 kms parcourus, Picard n'aura à subir que cinq crevaisons et un incident de dynamo. Lefaucheux demande alors à Paul Guillon, Pierre Vignal et Georges Rémiot d'effectuer un trajet similaire en compagnie d'une Volkswagen louée à Bayonne. Le verdict tombe à leur retour : le moteur est trop faible (748cm³), les reprises insignifiantes, un silence de fonctionnement imparfait, une aération de l'habitacle insuffisante, une étanchéité à la poussière à revoir. La première décision sera d'augmenter la cylindrée du moteur à 845cm³ en augmentant l'alésage à 58mm, la puissance fiscale passant alors à 5CV. 

 
Les petites rues siciliènes permettent de tester les trains avant et arrière. Le passage d'un fjord en Norvège. Le cercle polaire permet d'éprouver la résistance de la Dauphine au froid, à la neige et à la boue.
Les essais sur route de montagne permettent de contrôler la résistance de la mécanique, le bon étagement des vitesses, le refroidissement du moteur et la résistance des freins. A Trieste... Le passage d'un gué en Yougoslavie permet de tester l'étanchéité et la suspension.
En Italie... Au Portugal... En Espagne...

Deux millions de kilomètres auront été parcourus sur toutes les routes d'Europe ainsi qu'un million sur la piste de Lardy. La décision de produire le projet 109 est prise le 6 janvier 1954. 

La direction des fabrications commence alors à préparer l'outillage nécessaire à sa fabrication. Parallèlement, une autre série de prototypes plus proches du modèle définitif sont mis en chantier et vont de nouveau servir à de multiples essais sur les routes du monde... Les anciens prototypes finissent leur vie en servant de crash-tests.

Constamment, Pierre Lefaucheux suit le développement de la voiture allant même jusqu'à l'essayer plusieurs fois, de nuit, avec ses collaborateurs. Malheureusement, le 11 février 1955, vers 9h30, dans la région de St Dizier, la Frégate du patron de la Régie, quitte la route, heurte une borne. Sa valise posée sur la banquette arrière est projetée, le frappe à la tête et le tue. Celui qui couvait son bébé, ne verra pas sa naissance. Le 1er mars 1955, Pierre Dreyfus, bras droit de Lefaucheux lui succède.

Le lancement de la 5CV est prévue pour mars 1956. L'usine de Flins (qui s'appellera alors Usine Pierre Lefaucheux) s'agrandit pour recevoir la belle dès septembre 1954. Le projet 109 ne s'appelle pas encore Dauphine. Ce nom fut trouvé lors d'un dîner à l'auberge de Port-Royal présidé par Fernand Picard. Un collaborateur (Jean-Richard Deshaies ou Marcel Wiriath, les avis divergent) s'exclame : "La 4CV est la reine ! La nouvelle venue ne peut être que la Dauphine !". Une star est née. En novembre 1955, l'Auto-Journal et l'Action Automobile et Touristique dévoilent la nouvelle 5CV : pour l'Auto-Journal du 15 novembre, "Renault joue sa voiture moderne", et accompagne de dessins sur l'aspect général et sur l'intérieur.

L'Action Automobile et Touristique fait mieux, puisqu'elle présente une photo d'un des derniers prototypes (le 2381 WO), de nuit, sur la piste de Lardy.

En décembre 1955, Pierre Bonnin (directeur de l'usine de Flins) et Fernand Picard présente à Pierre Dreyfus la première Dauphine de série sortie des chaînes.

Durant tout l'hiver, on stocke 150 voitures de série pour le lancement. En février 1956, l'Action Automobile et Touristique présente un cliché d'une Dauphine de série (encore eux ! ils devaient avoir un excellent photographe pour avoir de tels scoops !).

Le 4 février 1956 une présentation est faite aux journalistes en Corse : suite du récit avec la "présentation d'une star..."

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